ET LISEZ RECLUS 1 Ranger la bibiothèque
Aujourd’hui profitez donc du confinement pour ranger une de vos bibliothèques, sans tricher. J'appelle tricher quand, juché-e sur l'escabeau, on déplace deux ou trois bouquins, qu'on s’empare d’un titre retrouvé avec plaisir et qu’on commence à le relire! J’ai déjà commis cette regrettable erreur. Conséquences : des crampes dans les mollets, le travail n’avance pas et la préparation du repas sera négligée.
Or, tous les sous-mariniers vous le diront, plus on est confiné, plus il faut soigner les menus. Pas d'excuses. Vous avez le droit de faire vos courses deux fois par semaine. Il n’y a que dans les vieux romans de SF qu’on croyait pouvoir se nourrir de pilules. Avec le paquet de céréales, les chips ou les biscuits apéritif, ça ne marche pas non plus.
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La nourriture de demain: pilules de rêve
La nourriture du futur imaginée par les auteurs de science-fiction entre 1896 et 1973 est destinée à des consommateurs standardisés, aliénés par une société capitaliste en quête de rentabi...
https://www.alimentarium.org/fr/magazine/nutrition/la-nourriture-de-demain-pilules-de-r%C3%AAve
Donc ranger la bibliothèque implique de sortir les livres de leur rayonnage, d’essuyer correctement livres et étagères et de reclasser tout. Personnellement, je préfère l’ordre alphabétique par genre. Cet exercice est d’autant plus profitable qu’il assouplit les cervicales et fait travailler les genoux. Que demandez-vous de plus en ce moment, alors que vous avez du mal à vous imposer votre gym matinale quotidienne ?
Évitez absolument de vous attarder sur certains ouvrages : on les sort, on les essuie, on les range et c’est tout ! Exemple à la lettre G : Le hussard sur le toit ou encore à la lettre S : L’aveuglement. Certes ce sont de très grands livres, mais est-ce vraiment nécessaire de constater une fois de plus, et alors que vous le savez déjà, que les expériences du passé ne profitent à personne et qu’au contraire les comportements humains se répètent inlassablement ? Non ! Vous relirez ces deux livres plus tard, quand vous serez sorti-e de votre quarantaine.
En revanche, comme le second tour électoral est reporté en juin, je ne saurais trop vous recommander la suite de L’aveuglement du même S, à savoir La Lucidité - qu’on peut lire séparément- car vous verrez ce qu’il en coûte quand 83% des électeurs votent blanc aux élection municipales…
Bon, je n’ai pas commencé à ranger et déjà je m’égare …
Je choisis de ranger en premier cette bibliothèque ci-dessous, une de mes préférées : en haut, trois rayons de théâtre, puis deux rayons de poésie et trois rayons de littérature italienne (traduite, hélas ! je ne le lis pas l’italien)
Avec un petit challenge photographique motivant : dans chacun de ces trois genres je dois choisir trois livres : une œuvre intégrale, plus deux livres dont un écrit par une femme. C’est comme ça ! il n’y a pas à discuter.
Je commence : j’ai presque tout le théâtre de mon très cher grinçant Thomas Bernhard, mais je l’ai prêté en bloc à une copine metteure en scène pour un futur spectacle. Je choisis donc, en hommage à nos amis Italiens ce volume des Comédies choisies de Goldoni en très agréable édition La Pochothèque, quinze pièces très enlevées, tellement 18e siècle, dont le célèbre Valet de deux maîtres : on ne s'en lasse jamais.
Les Troyennes d’Euripide, adaptation de Jean-Paul Sartre, mise ne scène de Cacoyannis et musique de Prodomides : un grand moment du TNP vécu avec les copains et copines du lycée, qui m’a fait plonger à 15 ans dans le théâtre antique.
A ma grande honte, je constate qu’il n’y a que quatre auteures sur mes rayons théâtre : Colette, Sagan, Réza et NDiaye Mais pour Colette et Sagan, leur théâtre n’est pas ce que je préfère. Marie NDiaye, je la réserve pour le rayon romans. Je choisis donc ce Théâtre de Yasmina Réza : confinement oblige, j'aime bien ses pièces en huis-clos !
Dans mon rayon Poésie, mes trois choix : ce volume de Oeuvres de Robert Desnos chez Quarto Gallimard. On y trouve TOUT Desnos en 1395 pages, ce qui est connu et ce qui l'est moins. En août 1929, Desnos fait un Voyage en Bourgogne, avec sa femme Youki et Foujita, en "costumes de route "cousus par Foujita ! page 628, étape à Dijon :" Au débarquement, à Dijon, une fête, encore une, nous accueillit. Mais la cité est riche et peut se payer des réjouissances à l'instar de Paris. (...) Un quelconque congrès de la boustifaille avait attiré de nombreux visiteurs. L'avenue de la Gare était encombrée de promeneurs. Ils tournaient en rond autour du square de la Place Darcy, et, de nos fenêtres de l'hôtel de la Cloche, nous pouvions les voir se disperser dans les rues avoisinantes, tandis que, sagement, nous buvions du vittel-cassis glacé."
Mais c'est du poète que je voulais vous parler. Que choisir ? Allez, le début de Demain, poème écrit en 1942, et qui vous remontera le moral :
"Âgé de cent mille ans, j'aurais encore la force
De t'attendre, ô demain pressenti par l'espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir."
Je possède un certain nombre d'anthologies poétiques, cueillies au fil du temps et j'avais succombé à celle-ci pour son titre : Poèmes à dire (Seghers) choisis par Daniel Gélin et préfacée par Jean Vilar. On y trouve « Corps perdu », un très beau poème extrait de Cadastre d’Aimé Césaire.
Ce petit chapitre poésie sera clos par une lumineuse rencontre de 2018 à la Maison de Rhénanie-Palatinat : Marina Skalova, jeune poète franco-allemande née à Moscou en 1988 qui parle aussi le russe. " J'ai conçu Atemnot (Souffle court) comme un recueil bilingue en français et en allemand. Ces deux langues sont mes langues d'écriture, sans pour autant être mes langues maternelles. L'écriture a toujours été liée pour moi à une expérience de l'étrangeté, de l'entre-deux. Dans ce texte, la parole s'éveille dans les deux langues, se reflète dans le miroir toujours légèrement déformé que l'autre lui tend, soulignant ainsi l'altérité et l'étrangeté de chaque langage." (édition CHEYNE)
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Au rayon des romans italiens je choisis deux auteures. Bon je ne vous cache pas que j'ai beaucoup d'admiration pour Silvia Avallone, et notamment son formidable roman D'Acier. Mais c'est un livre lu en vacances sur ma liseuse numérique. Et j'ai promis de ne pas tricher !
Alors d'abord Elsa Morante avec L’île d’Arturo. Je me rends compte au passage que je possède une quinzaine de romans de Moravia, oubliés pour la plupart, mais huit volumes d’Elsa Morante. Une époque où elle était surtout perçue comme la femme du premier. La postérité a déjà heureusement rétabli cette injustice. L’île d’Arturo, c'est l'île de Procida dans le golfe de Naples. Un beau roman d'initiation (traduit de l'italien par Michel Arnaud ) poétique et violent comme le paysage.
Il ne saurait pas y avoir pour moi de "Chronique italienne" sans un écrivain turinois. Alors ? Giuseppe Culicchia ? Umberto Ecco ? Pavese ? Eh non, ce sera Natalia Ginzburg et Les Mots de la tribu (Cahiers rouges, Grasset , traduction de Michèle Causse) et son humour percutant dans toutes les situations. Quel courageux foyer de résistance anti-fasciste a été Turin !
Pour terminer en beauté Giorgio Bassani et Le Roman de Ferrare (autre Quarto Gallimard). Ceux qui connaissent ma conférence sur Ferrare savent à quel point cette ville et son auteur fétiche me fascinent. Vous trouverez dans ce volume tous les romans de Bassani: Le Jardin des Finzi-Contini, bien sûr. Mais aussi ce roman admirable et peu lu en France : Le héron. Une journée de la vie d'après-guerre d'Edgardo Lementani en 1948.
Aux inévitables transformations sociales qui s'ensuivront après cette "guerre" virale que nous vivons, puissions-nous mieux résister que le héros de ce roman !
Claude Léa, 24 mars 2020.