ET LISEZ RECLUS 4 Dany Laferrière
Pyjama, minuteur et chaussures à lacets.
Il circule en ce moment sur les réseaux sociaux des caricatures à face simiesque que je me garde bien de partager : voilà donc, disent leurs légendes, à quoi ressembleront les femmes « à la sortie du confinement » privées de coiffeur et d’esthéticienne pendant plusieurs semaines ! Remarques éminemment machistes ! Et déplaisantes pour les guenons : je vous renvoie à l’article «Beau, Beauté » du Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire. Et d’ailleurs qui vous dit qu’on confine en tenue négligée ? On sait à quelle fulgurante vitesse le laisser-aller physique atteint le mental. Et c’est d’abord pour soi qu’on choisit chaque matin sa tenue.
Et donc ne restez pas en pyjama toute la journée !
Il faut tout le talent et l'humour de Dany Laferrière pour être un « écrivain [et un lecteur] en pyjama » dans ce recueil de chroniques qui se dévore comme un roman, manuel de conseils (bienveillants) pour (ne pas) devenir écrivain.
Et mettez aussi vos chaussures à lacets ! comme le recommande « Fly Lady », dans un livre malin (bien que très daté « rêve américain »)-manuel de conseils pour ne pas se perdre dans le rangement et l’entretien de sa maison. Le titre original Sink Reflections est traduit en français par un autre jeu de mots : Entretien avec mon évier.
Faites briller vos évier(s) et lavabo(s) de telle sorte que le chat ait envie de s’y coucher, dit-elle. Manière de bien débuter la journée : qu’on commence par le petit-déjeuner ou la toilette, c’est la première chose qu’on voit le matin. Chez nous, mission accomplie.
Et tenez pendant quatre semaines car, affirme-t-elle, une bonne pratique observée pendant un mois se transforme en habitude. Vous ne pourrez pas dire que le confinement ne vous offre pas cette formidable opportunité.
Je n’ai pas ce livre, une amie me l’avait prêté il y a longtemps, mais il contenait des conseils que je cite de mémoire car j’ai fait de certains une routine efficace.
Et mettez des chaussures à lacets à la maison ! « à lacets » pour ne pas s'en dégager les pieds d’un geste distrait sous la table ! Il est avéré que la voix au téléphone varie selon la tenue dans laquelle on se trouve : gare à l’importante conversation professionnelle sur le tapis de bain au sortir de la douche !
Oui, il faut tout le talent, la verve, l'énergie de Dany Laferrière pour être un « écrivain en pyjama ». Et il en faut du courage pour quitter sa patrie à 23 ans- Haïti et ses Tontons Macoute- émigrer à Montréal, survivre de boulots pénibles et engager toute sa volonté et ses économies en pariant de s’en sortir par la seule force de l’écriture !
« Mon premier livre parut en novembre 1985, et mon sort a changé. Je ne suis pas devenu riche, loin de là, mais depuis je mène la vie que j’ai toujours rêvée. J’ai bien fait de miser toute ma fortune et mon énergie sur cette carte. » (p 19 (Toutes pages renvoient à l’édition du Livre de Poche photographiée -Grasset et Fasquellle 2013.)
Et depuis …. plus d’une trentaine de livres, plusieurs films, une brouette de prix littéraires, élu à l’académie française en 2013, Docteur Honoris Causa de 8 universités ! Et un grand et joyeux moment au festival Clameurs à Dijon le 10 juin 2016 !
Je suis fière de cette dédicace sur L’Odeur du café (Edition Zulma, 2016) livre que je relis le soir dans la foulée du rangement des bibliothèques parce qu'il abat les murs.

Dany Laferrière, comme la plupart des grands écrivains, s’impose les règles strictes de l’écriture quotidienne, mais il y ajoute une saveur qui n’appartient qu’à lui.
« Je me réveille tôt et j’écris jusqu’à dix heures du matin. Je reprends le soir de sept à dix heures. Entre ces deux périodes de travail, je fais semblant d’être là. » p 196
« Une journée par mois, sans lire ni écrire, pour garder un pied dans la réalité, ce qui vous permettra d’avancer d’un pas dans le rêve. » p 26
« L’État devrait exiger qu’on paie des taxes sur les dépenses faites dans un livre afin d’apprendre à l’écrivain le prix des choses. » p 58
Plus je repense à Entretien avec mon évier tout en relisant Le Journal d’un écrivain en pyjama, plus je constate qu’écriture et grand ménage procèdent de la même méthode : travailler à sa mesure, ne pas vouloir nettoyer les écuries d’ Augias.
« L’un des principes de l’écriture c’est de connaître ses possibilités afin d’éviter de tenter des choses au-dessus de ses moyens - du moins au début. » p39
Évitez d’empiler au sol tous vos livres, comme il m’est arrivé de le faire jadis, ou tous vos vêtements (comme le préconise la délirante méthode japonaise KonMari !) Avancez par petites étapes : vous n’êtes pas Hercule !
Autre conseil de Fly Lady : utiliser le minuteur pour les tâches domestiques, ça motive et ça empêche de traîner. Exemple : je me donne une demi-heure pour ranger ce tiroir. Quand le minuteur sonne, le tiroir doit être rangé. Mission accomplie.
Cela me fait penser à ce génial concours international de jeunes doctorants (initié par le Québec, justement ): Ma thèse en 180 secondes : trois minutes- le temps d’infusion d’un bon thé vert- et le sujet d’une thèse -généralement abscons- est clairement expliqué à un public de profanes.
Sur ce site du journal L’Étudiant qui conseille les thésards voulant tenter le concours :
/https%3A%2F%2Fwww.letudiant.fr%2Fstatic%2Fuploads%2Fmediatheque%2FEDU_EDU%2F1%2F6%2F197716-docteurs-sorbonneuniversites-mai-2011-c-stromboni-5-580x310.jpg%23width%3D580%26height%3D310)
'Ma thèse en 180 secondes' : 10 conseils pour être efficace
Trouver une attaque originale, placer sa voix, ménager le suspense... La présentation d'un sujet de recherche n'est pas une mince affaire. Comment intéresser un auditoire profane ? Des spéciali...
en vidéo : belles prestations de deux lauréats.
je remarque des conseils identiques à ceux du Journal d’un écrivain en pyjama :
L’Étudiant : « choisir une approche originale ; ménager le suspense » .
Laferrière : « On n’aime pas toujours les histoires qui commencent par le début. Ça fait peur. On sent qu’on va s’emmerder. » p 56
Et pour terminer- car si j'écris sans minuteur, je m'impose un format de 1000 mots- une dernière citation pour soulager le mal de dos de tous ceux qui, en ce moment, télé-travaillent des heures durant, confinés devant leur(s) écran (s) :
« La première qualité d’un écrivain c’est d’avoir de bonnes fesses. Si vous ne pouvez pas rester en place, faites autre chose. Vous allez passer votre vie assis. Au début du roman, prenez une chaise droite. Mais vers le milieu mettez un oreiller dans votre dos. Ensuite sous vos fesses. Et vers la fin un derrière votre nuque. J’ai terminé Le Cri des oiseaux fous avec cinq oreillers. » p 203
Retrouvez un court extrait du Journal d’un écrivain en pyjama en suivant ce lien.